20 août 2020 #44
“Comme une tache d’encre aux multiples bavures se dénouant et se renouant, glissant sans laisser de traces sur les décombres, les morts” La route des Flandres, Claude Simon.
Nuit. Jour.
Tu sais quand tu te lèves que ta nuit a été courte.
Tu te précipites sous la douche, tu te maquilles avec une truelle, tu n’oses même plus toucher aux cheveux de peur de découvrir ta tête réelle, tu t’habilles à l’arrache en engouffrant à toute vitesse une tartine beurre-miel et dans la précipitation tu taches ta chemise mais ces jours-là tu ne t’en rends pas compte parce que tu es trop préoccupée par des considérations inutiles et la seule chose qui t’intéresse c’est le second café que tu es en train de te faire pour survivre à la journée qui t’attend.
Tu les connais ces jours où tu n’as pas le temps de boire ce second café parce que finalement tu as vu que tu t’étais tachée. Tu es donc montée à toute vitesse te changer parce que tu ne supportes vraiment pas cette tache au milieu de ton poitrail. Tu redescends, saute dans ta voiture, fais l’américaine avec le mug posé dans le compartiment spécial mug. Evidemment ton mug est beaucoup trop large pour rentrer dans le compartiment du mug, tu jures que pour une fois qu’un truc est trop petit aux Etats-Unis ça tombe sur ton compartiment spécial mug, c’est quand même mal foutu, alors tu tiens ton mug dans la main gauche et tu sors du garage en marche arrière.
Tu le sais pourtant qu’il y a des nids de poule sur la chaussée, bien qu’il ne neige quasiment jamais, que les hivers ne soient pas rigoureux, que ces chaussées voient passer peut-être dix voitures par jour tout au plus, parce qu’ici l’entretien des routes c’est tout ça tout ça.
Tu le sais que le service public aux Etats-unis tout ça tout ça…mais dans ta précipitation, avec ton mug de café à la main tu as accéléré imprudemment, non pas que tu aies manqué d’écraser le quidam parce que de quidam dans cette rue il n’y en a pas, mais tu as oublié que tu avais le mug de café à la main et un léger soubresaut dans ta voiture aux suspensions irréprochables a fait basculer ta journée.
Jet de café sur chemise propre.
Tu es déjà très en retard, en cause, la première tache du matin, ta courte nuit, ta tête improbable que tu as tenté d’améliorer avec ta truelle. Tu es déjà à dix minutes de chez toi. Tu ne peux plus faire demi-tour, tu vas donc passer la journée entière avec une tache de café sur ta seconde chemise. Tu sens le café couler alors avec la main gauche tu saisis dans la boîte à gants, en te contorsionnant tout du long, une petite lingette depuis longtemps desséchée et tu étales le café maintenant froid sur ta chemise.
Tu le sais que tu vas détester cette journée parce qu’une fois tachée tu ne vois plus que ça, tu as l’impression d’être marquée au fer rouge, tu as l’impression que le monde entier regarde avec dégoût ta chemise et chuchote à ton passage.
Ce que tu ne sais pas encore c’est que cette tache tu vas la traîner pendant les quatre prochaines années, indélébile, tache qui surgit tous les jours où que tu sois, tache locale, nationale, internationale, tache du présent, tache de l’histoire, tache à venir, tache de tous les instants, tache universelle, tache intemporelle, tache qui fait mal, tache malade, tache honteuse, tache dégueulasse, tache obscène, tache misogyne, tache raciste, tache extrémiste, tache des bas instincts, des vilains, tache incendiaire, tache meurtrière, tache qui exaspère, qui fatigue, qui ridiculise, qui infantilise, qui sépare, qui divise, qui polarise, qui stigmatise, qui rabaisse, qui insulte, qui menace et qui tue.
Aujourd’hui cela fait bientôt quatre ans que nous sommes tachés. Encore quatre jours avant le nettoyage à sec.
Jour. Jour.
Excellent! On se croirait au début de L’Automne à Pékin… Alors qu’on est, avec un peu de chance, à l’aube du 5eme jour…
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Ca y est !!! Courage jusqu’à janvier…
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